
Contribuer à une gouvernance hybride pour protéger et gérer des aires remarquables en haute mer : Dôme thermal et mer des Sargasses
LE PROJET DE RECHERCHE
Le nom du projet SARGADOM est une combinaison de la mer des Sargasses, nommée d’après l’algue flottante Sargassum sur laquelle repose un écosystème océanique diversifié et productif, et du Dôme thermal, un phénomène océanographique caractérisé par des eaux profondes froides et riches en nutriments, qui remontent vers la surface et génèrent une productivité primaire élevée qui permet de maintenir un réseau alimentaire dynamique.
Avec SARGADOM, nous voulons améliorer la protection de la biodiversité, maintenir les services écosystémiques dans ces deux zones sensibles de haute mer et faciliter la conception de modèles hybrides de gouvernance de l’océan. Nous pensons que c’est le seul moyen de faire du traité “BBNJ” non pas une simple déclaration de bonne volonté, mais un outil réel et efficace pour gouverner et protéger la haute mer. Nous voulons contribuer aux négociations des Nations Unies, mais surtout, nous voulons être prêts à contribuer à la phase de mise en œuvre du traité “BBNJ”.
La haute mer représente 64% de l’océan mondial. Elle est régie par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Son statut international repose sur deux régimes juridiques distincts : i) les fonds marins situés au-delà du plateau continental, dont les ressources minérales sont régies par l’Autorité internationale des fonds marins en tant que patrimoine commun de l’humanité et ii) la colonne d’eau au-dessus des fonds marins, qui est régie par le principe de la liberté de la haute mer.
Les activités économiques qui s’y déroulent sont régies par les États, sous la responsabilité de l’État du pavillon. Cependant, à ce stade il n’y a pas de fondement juridique international permettant de créer des zones de protection qui soient respectées par tous les utilisateurs. On y invoque souvent le principe de non-appropriation de la haute mer et l’impossibilité pour un État de restreindre l’accès d’une zone à un autre État. La gestion durable de la haute mer pose donc un certain nombre de problèmes majeurs.
La CNUDM fournit un cadre pour la gouvernance des zones situées au-delà des juridictions nationales (ZADJN / BBNJ), cependant, le système existant a été décrit comme un « agenda inachevé ». A ce jour, le cadre juridique international existant et les régimes de gestion existants régionaux et / ou sectoriels sont incomplets et inefficaces. La nécessité de réfléchir à une action globale pour la gouvernance et la gestion de ces zones permettant la prise des mesures de conservation et de gestion ou de limitation des activités humaines s’est posée, est discutée à l’Assemblée générale des Nations Unies depuis 2004.
Dans ce contexte, en 2017, après un processus de plus de dix ans, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a mis en place une conférence intergouvernementale dont le mandat est de négocier un nouvel instrument international juridiquement contraignant (IIJC) sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale (ZADJN / BBNJ). À la fin du quatrième cycle de négociations en mars 2021, les négociateurs de l’IIJC semblent accepter qu’une certaine forme de structure de gouvernance globale – par le biais d’une Conférence des Parties (COP) – est nécessaire.
Le Dôme thermal et la mer des Sargasses sont deux sites représentatifs de la diversité et de l’importance des écosystèmes de la haute mer. Ils illustrent parfaitement le fait que les limites écologiques (telle l’interconnectivité des écosystèmes) ne correspondent pas aux délimitations juridiques établies par la CNUDM. Il s’agit de formations dynamiques, qui se déplacent, rétrécissent et s’étendent au gré des courants et des vents. Elles se situent principalement au-delà des juridictions nationales, en haute mer, mais peuvent « empiéter » en permanence, régulièrement ou de temps en temps sur des ZEE qui se trouvent sous la souveraineté des États.
La stratégie proposée par le projet consiste à s’appuyer sur une analyse DPSIR (force motrice-pressions-état-impact-réponse) dans chaque site, et d’une analyse de la gouvernance actuelle des deux sites et des améliorations potentielles, qui mèneront à l’élaboration de propositions visant à améliorer la gouvernance et à convenir de l’établissement de mesures de conservation et de gestion appropriées pour les sites. Nous espérons que les résultats de ce travail permettront d’éclairer la mise en œuvre de futurs accords sur d’autres zones de haute mer qui souhaitent concevoir des outils de gestion par zone. Les connaissances acquises appuieront également le développement d’accords et de plans d’action au niveau du Dôme thermal et la mer des Sargasses.
POURQUOI CES DEUX SITES ?
Le Dôme thermal et la mer des Sargasses sont deux écosystèmes uniques qui servent de cas pilotes pour faire progresser la conservation de la haute mer et également à tester et réfléchir au concept de gouvernance hybride, combinant des approches globales et régionales.
Ces deux sites ont été choisis en raison de l’état relativement avancé des connaissances sur ces deux écosystèmes de haute mer et de l’implication continue des parties prenantes dans les discussions sur les mécanismes de gouvernance potentiels. D’autres facteurs incluent l’importance écologique particulière de ces zones, la qualité des équipes déjà en place et leur implication au niveau mondial. Pour ces raisons, ils peuvent apporter beaucoup à la discussion sur le traité BBNJ, dont l’efficacité dépendra fortement d’une bonne compréhension des enjeux.

Le Dôme thermal
Le Dôme thermal est situé à l’intérieur et au-delà des zones économiques exclusives (ZEE) des pays d’Amérique centrale dans le Pacifique tropical oriental. C’est un phénomène formé par la conjonction des alizés et des courants marins qui entraînent la remontée des eaux profondes, froides et riches en nutriments (upwelling). La thermocline est ainsi « soulevée » jusqu’à une quinzaine de mètres de la surface, lui donnant de par sa forme en cloche, son nom de « dôme ». La taille et la localisation du Dôme thermal sont dynamiques. Sa surface moyenne est de 530 000 km2. Sa zone centrale se situe autour de 9°N et 90°W, à plus de 65 km à l’ouest des frontières des ZEE du Costa Rica et du Nicaragua, c’est-à-dire au-delà de leurs juridictions nationales respectives.
La zone du Dôme thermal ne bénéficie pas d’un cadre fort et établi de gouvernance régionale. Cependant, il faut noter la présence de la Commission centraméricaine sur l’environnement et le développement (CCAD). La CCAD, une organisation appartenant au SICA (Central America Integration System), a été créée en 1989. Son rôle est de mettre en valeur le patrimoine naturel de la région par l’usage raisonnable des ressources et le contrôle de la pollution. A travers son Comité compétent sur les questions marines, elle montre un fort intérêt pour la gouvernance et la gestion du Dôme Thermal. Depuis 2014, l’ONG régionale MarViva, avec le soutien du gouvernement du Costa Rica et d’autres gouvernements d’Amérique centrale, conduit une initiative visant à améliorer la gouvernance du Dôme thermal.

Mer des Sargasses
S’étendant sur plus de 5 millions de km2, la mer des Sargasses est un écosystème unique situé dans le gyre subtropical de l’Atlantique Nord. Elle tire son nom de deux espèces de macro-algues pélagiques (Sargassum natans et S. fluitans) qui s’y accumulent et forment de vastes tapis et andains constituant la base de l’écosystème de haute mer. Seul l’archipel des Bermudes a une façade côtière directe sur la mer des Sargasses. Cette dernière est bordée par le flux des principaux courants océaniques tels le Gulf Stream et le courant nord-atlantique (limites ouest et nord), le courant des Canaries (limite plus diffuse à l’est), et le courant équatorial nord qui, avec le courant des Antilles, forment la limite sud
Depuis 2010, le projet de la mer des Sargasses, développé en association avec l’UICN et d’autres partenaires et dirigé par le gouvernement des Bermudes, collabore avec un grand nombre de parties prenantes du gouvernement, du monde universitaire et du secteur privé, ainsi que des collaborateurs intéressés, afin d’attirer l’attention de la communauté internationale sur l’importance de l’écosystème de la mer des Sargasses. Il cherche à utiliser les organisations internationales existantes disposant de compétences établies pour mettre en place des mesures de conservation dans la mer des Sargasses, et d’utiliser ce processus comme modèle pour d’autres régions. En 2014, les gouvernements se sont réunis aux Bermudes pour signer la Déclaration de Hamilton sur la collaboration pour la conservation de la mer des Sargasses, qui, en 2022, compte un total de dix gouvernements signataires. Il s’agit d’un accord politique non contraignant entre les gouvernements intéressés situés dans la région élargie de la mer des Sargasses ou ayant un intérêt pour la conservation de la haute mer. La Commission de la mer des Sargasses, un organisme indépendant établi par une déclaration politique, a été décrite comme un nouveau paradigme pour la gouvernance en haute mer.
RÉSULTATS ATTENDUS
Les résultats attendus du projet sont différents pour les deux sites d’étude.
Pour le Dôme thermal, il s’agit de propositions multisectorielles pour la gouvernance et la réglementation de la haute mer, en mettant l’accent sur la pêche et la navigation, qui seront soumises aux parties prenantes des Nations Unies par les gouvernements soutenant le processus. Pour la Commission de la mer des Sargasses, il s’agit d’un programme d’action stratégique soumis à l’approbation des principales parties prenantes, dont les Signataires de la Déclaration de Hamilton.
En développant des structures de gouvernance innovantes pour le Dôme thermal et la mer des Sargasses, le projet vise à acquérir des connaissances qui permettront de formuler des recommandations pour d’autres sites ou d’autres futurs accords globaux sur la haute mer en général.
Chiffres clés
A propos de la haute mer